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Chroniques
Il signor Bruschino, ossia Il figlio per azzardo
Monsieur Bruschin ou Le fils par hasard
Même si les trois opéras représentés cette année par le Rossini Opera Festival (ROF) le sont en salle, la page du Covid-19 n’est évidemment pas tournée. Comme pour La cambiale di matrimonio l’année dernière, l’ouvrage monté au Teatro Rossini doit respecter certaines contraintes de distanciation physique. Pour la deuxième année consécutive, l’orchestre occupe et neutralise le parterre, tandis qu’aux étages les loges accueillent chacune deux personnes au maximum, ce qui forme une jauge totale d’un peu plus de deux cents personnes.
Il signor Bruschino est la farce rossinienne à l’affiche de l’édition 2021, mise en scène par le couple Barbe & Doucet en première venue au ROF, soit Renaud Doucet pour la mise en scène et André Barbe quant à la scénographie et aux costumes [lire nos chroniques de Benvenuto Cellini, Iphigénie en Aulide, Die Feen et Il Bravo ossia La Veneziana]. La première image séduit l’œil : un beau voilier amarré à un quai où sèchent les filets de pêche, le tout magnifiquement éclairé dans des tons ocre par Guy Simard. Le nom du bateau est Il mio castello, ne dérogeant ainsi pas au livret de Giuseppe Foppa qui décrit l’action dans le château du vieux Gaudenzio. Le jeu se déploie principalement sur le pont du voilier et à quai, un jeu vivant et naturel incluant certaines touches d’humour, mais sans atteindre toutefois à l’habituelle bouffonnerie de cette farsa giocosa. Le déficit de comique rend la soirée presque trop sérieuse, ce manque étant cependant davantage imputable aux protagonistes qu’à la mise en scène.
Dès son air d’entrée Nel teatro del gran mondo, Giorgio Caoduro (Gaudenzio) constitue malheureusement le maillon faible de l’équipe [lire nos chroniques des Nozze di Figaro, de L’arbore di Diana, La grotta di Trofonio et Falstaff]. En capitaine de bateau, cravate rouge et blazer bleu, le personnage fait difficilement sourire. C’est du point de vue vocal que les problèmes paraissent encore plus sérieux : la voix est certes souple, mais le registre aigu du baryton se resserre en perdant en densité et en gagnant en vibrato, ce qui enlaidit plusieurs de ses interventions. Quelle différence avec Pietro Spagnoli distribué en Bruschino-père ! Même si les moyens ne sont plus ceux de ses débuts au ROF en 1989, la basse italienne dispose d’un instrument stable et volumineux, ainsi qu’une vis comica naturelle à laquelle on pouffe de bon cœur lorsqu’il répète à l’envi « Uh che caldo ! ». Il faut dire qu’il est habillé en multicouches avec chemise, gilet, costume, imperméable, et que la sueur perle à grosses gouttes dans la température difficilement supportable du théâtre [lire nos chroniques des Nozze di Figaro, de Così fan tutte, Don Giovanni, L’elisir d’amore, I puritani, L’opera seria et L’Italiana in Algeri, ainsi que du Barbiere di Siviglia à Genève et à Pesaro].
Dans le rôle de Sofia, Marina Monzó fait entendre un timbre charmant et une virtuosité appréciable. Habituel sommet lyrique de l’ouvrage, son grand air Ah, donate il caro sposo séduit dans la cantilène accompagnée par le mélancolique cor anglais, l’instrument gagnant ensuite en gaité pour la cabalette très bien chantée, avec précision de l’intonation, le soprano [lire notre chronique de La pietra del paragone] ayant simplement le tort de forcer un peu la voix sur les plus hauts aigus. Son amoureux est Jack Swanson (Florville), typique ténor rossinien plutôt léger, agile, musical et expressif, d’une couleur émise dans le masque mais assez agréable. Le baryton-basse Gianluca Margheri impose une belle présence vocale en Filiberto [lire notre chronique de L’incoronazione di Poppea]. Enrico Iviglia (Commissario) et Chiara Tirotta (Marianna) intéressent également dans des rôles de moindre importance, l’intervention finale de Bruschino-fils étant extrêmement réduite, tenue par Manuel Amati [lire nos chroniques d’Il viaggio a Reims et de L’equivoco stravagante].
Dès les premières mesures de l’Ouverture bien connue, avec ses coups d’archets frappés sur les pupitres, on entend que la qualité de l’Orchestra Filarmonica Gioachino Rossini n’est pas idéale au démarrage. Mais la phalange se règle rapidement sous la direction experte du jeune Michele Spotti, une battue vivante, énergique, nuancée aussi [lire nos chroniques de Don Pasquale, Il matrimonio segreto, Le bourgeois gentilhomme et du récital Juan Diego Flórez]. Quelques attaques sont en effet accentuées, ici des pizzicati plus sonores, là de très légers ralentissements. Le chef donne par ailleurs tous les départs aux solistes situés à bonne distance de la baguette, assurant ainsi l’indispensable coordination générale, rendue difficile par la topographie de la soirée.
IF